KAM - Radio-ça-roule

Crrcrrr... *Voix nasillarde des archives İNA*
 Vous êtes bien sûr "radio-ça-roule", bienvenue aux derniers auditeurs et auditrices qui nous ont rejoints ce soir pour ce rendez-vous hebdomadaire, la chronique(le) du cycle ! S'il est au monde une paire de manières de finir une journée qui soient en mesure de combler le cyclo-voyageur après de longues heures d'effort, il s'agit bien, primo, de l'accueil par un.e local.e sous son toît ou à sa table, et secondo, du succès dans la course au bivouac idéal. Du soleil, des falaises au bord de l'eau, des 4 voies sur du plat, de la montée à n'en plus savoir que faire, ce soir, vibrez avec nous à la lecture de ce billet n°23 ! Sans plus attendre, GÉNÉRİQUE ! (bon là je vous laisse imaginer hein)

Lundi.
Je redescends la piste durement gravit la veille, lentement pour ne pas brusquer Gabriel dès le réveil. Au programme du jour : quelques petits kilomètres de nationale en guise d'échauffement, avant de passer la journée sur des routes plus agréables, c'est motivant. Après avoir sué plus que prévu sur ma bande d'arrêt d'urgence qui montait décidément beaucoup plus que je n'avait imaginé, je profite du calme de cette petite route désaffectée qui esquive deux ou trois tunnels. Musique dans les oreilles et vue splendide (ya quand même des avantages à prendre de la hauteur, malgré la sueur), j'avale tranquillement les kilomètres, sans me presser. Aux alentours de midi, j'arrive au hameau de Deminören, dernière agglomeration où j'ai une chance de trouver à manger avant une bonne trentaine de kilomètres. Et c'est beaucoup plus petit que prévu... İl n'y a rien. Un paysant me demande depuis son champs de fraises où je vais : j'explique que je vais en direction de Gazipaşa, mais que je cherche surtout à manger ! "Burda yemek yok abi !" (Ya rien ici). Pour me donner du courage il le donne quelques fraises (bonnes, soit dit en passant) et je reprends ma route. 

IMG_20230220_125914.jpg, févr. 2023
IMG_20230220_130425.jpg, févr. 2023


Re-suée, ça grimpe sec les petites routes, puis je rejoins la nationale sur une portion plus montagnarde, où elle fait la taille d'une route normale et sur laquelle les gens roulent bien moins vite. Je m'arrête pour dévorer une paire de Gözleme dans un des bouibouis de bord de route (ça pulule ici) et enchaine sans traîner. Arrivée à Yakaçık, je me repose en buvant un çay, prenant le temps de repérer le bivouac de ce soir. La colline juste derrière semble un bon candidat, je m'y aventure à pied pour repérer. Bof en réalité... J'allais repartir quand, en m'approchant de mon vélo, une voiture s'arrête à ma hauteur. L'homme au volant me demande ce que je cherche, puis me dit de le suivre, il va me montrer où camper. Je le suis donc, avant qu'il ne s'arrête au bord de la route et me dise dans son français pas si pire que ça : "ici toi dormir, et demain va !" Bof bof... Heu... l'endroit est naze, il y a du vent, et je vais avoir du mal à m'entendre ronfler avec le boucan que font les camions sur la route à 10 mètres... Mais je fais mine de rien, pas la peine de le vexer. İl reste un peu, comme pour me cerner mieux, se présente ("enchanté, moi Hüseyin", "Memnun oldum, benim adım Camille"), puis finit par dire : "Viens monsieur, ma maison toi dormir et demain, va !". Aaaah ben là d'accord ! Je te suis mon gars ! 
Et voilà comment je me suis fait inviter chez Zuhal et Hüseyin, où vit aussi Fatma, la mère de Zuhal. Accueilli comme un roi, merci encore pour cette soirée et ce kavaltı (le petit déjeuner OBLİGATOİRE) paratagés ! 
Le soir, mon siège bouge un peu dans le salon. İl est 20h passé. Je me dis que ça doit être le chien qui joue dessous. C'est en réalité une nouvelle salve de secousses qui ont encore une fois démoli ce qui restait des régions de Hatay, Gaziantep et alentours. İci tout va bien, mais imaginer l'horreur là-bas fait froid dans le dos. Drôle d'ambiance, mais qu'y puis-je ?

IMG_20230220_163458.jpg, févr. 2023
IMG_20230221_085355.jpg, févr. 2023

Mardi.
Je repars, le ventre bien plein donc, et les sacoches aussi de tous les fruits que Zuhal a pu faire entrer dedans. J'ai même une poche de ma veste blindée d'amandes, fourrées là aux dernier moment. Merci pour tout ! Je prends la route, heureusement que je ne reste pas plus, les séparations auraient été rudes au vu de l'émotion qu'elles font monter après une nuit seulement... 

IMG_20230221_094832.jpg, févr. 2023


La route me conduit jusqu'à Gazipaşa, où je trouve à manger avant de m'engager sur une petite route de bord de mer, évitant une vingtaine de kilomètres d'autoroute. J'y trouve un bivouac d'une qualité rare : petite péninsule plantée d'oliviers en terrasse (ça c'est pour l'emplacement de camping à plat), entouré par la mer et pointant plein sud (ça c'est pour le soleil jusqu'à tard ce soir, et tôt le matin), dont les rochers éfilés plongent directement dans l'écume blanche (ça c'est pour l'esthétique du lieu) et au pied de laquelle une minuscule plage me permettra même d'aller faire trempette (ça c'est pour le divertissement) !

IMG_20230221_102510.jpg, févr. 2023
IMG_20230221_110634.jpg, févr. 2023
IMG_20230221_110652.jpg, févr. 2023
IMG_20230221_163938.jpg, févr. 2023
IMG_20230221_163948.jpg, févr. 2023
IMG_20230221_173740.jpg, févr. 2023

Premier bain de mer depuis l'Albanie pour moi soit dit en passant, si on omet les sources chaudes de Çeşme.

IMG_20230221_155049.jpg, févr. 2023

Le soleil rougi le ciel dès 18h30, et ce jusqu'à la fin du jour, autour de 19h30. J'ai mangé ma soupe au riz en contemplant le spectacle près d'une heure durant, un peu éblouissant, puis regardé en me goinfrant de Helva le minuscule croissant de lune rouge disparaitre, lancé à la poursuite de ce ciel de feu... Quoi vous dire de plus ? 

IMG_20230221_182643.jpg, févr. 2023

Mercredi. 
Je regarde la carte. Un continuum urbain trois à quatre fois plus long que celui de Mersin m'attend d'ici jusqu'à Antalya, pour encore 180 kilomètres. Avec comme seule route la bande d'arrêt d'urgence de ma chére nationale. Je profite encore un peu de ce coin de paradis avant de plonger dans la tourmente... Mais je me sens en forme alors je ne cherche pas plus loin, j'enfourche Gabi et zou ! Je mets les bouchées doubles, pas la peine de s'éterniser, et arrive à Alanya (40km plus loin) sur les coups de midi. 1h30 pour gober la mâtinée, le plat et le bon goudron ont aussi des bons côtés. Pause de 2h à Alanya, dans une indécision qui me semble sans fin : dois-je continuer sur cette route de l'enfer ? si oui, où dormir ce soir (le bivouac glauque de bords d'autoroute tout seul je me sens pas prêt là)? dois-je me lancer dans les 100km et 1000m de dénivelé qu'implique le seul détour qui puisse contourner ce bourbier, et encore, pas en entier ? 

IMG_20230222_135246.jpg, févr. 2023


Après un long débat entre moi et moi-même (c'est pas facile tout seul purée...) je décide que si je ne sais pas quoi faire, c'est que je dois rouler. Alors zou, et tant pis pour le bucolique ! 
55km dans le bruit des Kamyons plus loin je m'effondre dans un chambre du 3e étage de la pension Evim, à Manavgat. Demain je termine le boulot, plus que 80 km !

Jeudi.
Petit détour au réveil par un "Çay evi" où je bois un thé en avalant un tost (pain,  fromage, ketchup, le tout dans un grill à panini). Je décide de faire le détour par les "chutes d'eau de Manavgat" indiquées par un panneau touristique. Ça n'en valait pas la peine, voyez plutôt la photo des İMPRESSİONNANTES chutes en question !

IMG_20230223_101817.jpg, févr. 2023

Je repars, dépité, décidément il faut que j'arrive là... 

Pause de midi à Serik, une pide vraiment bonne, suffisamment pour le mentionner en tout cas ! Puis les 40 derniers kilomètres, l'horreur de l'entrée dans Antalya, experience que je ne recommande à personne. Je file directement à l'Otel où nous avions dormi avant de filer à Göreme, pas la force d'en chercher un autre, et m'effondre encore une fois, mais avec le sourire du vainceur. Ça y est ! C'est bouclé !

Vendredi.
Aujourd'hui c'est la pause. Je prends le temps d'emmener Gabriel chez le mécano, il a 2mm de jeux dans le pédalier et la chaîne est rincé après les bornes endurées depuis St Agnan... La journée passe sans grand chose de notable, j'en profite pour avancer l'écriture de ce billet, le temps est bon. Une vraie pause. 

IMG_20230224_134948.jpg, févr. 2023


À midi, après avoir englouti un dürüm dans le centre-ville, une enseigne de mobilier qui se trouve en face de moi. "Akdeniz mobilya". Depuis que j'ai entamé cette partie du périple au bord de l'eau, ce terme - Akdeniz - revient si souvent que je décide de me renseigner. Est-ce un lieu ? une montagne ? une ville ? La réponse est suffisamment poétique pour que je décide de vous en faire part : Akdeniz, c'est la mer Méditerranée. Deniz, c'est la mer tout court, Ak signifie blanc. La mer blanche donc, trône au sud de la Turquie, quand la mer noire - Karadeniz - en défini la frontière nord. Le blanc, sans doute, là où le soleil brille et blanchi tout, le noir là où la météo est nettement moins clémente. Je me couche moins stupide ce soir, demain on reprend la route !

Samedi.
L'objectif de la suite est simple : mon ferry pour les îles grecques part de Fethiye, donc je vais à Fethiye. La route que nous avons prit entre Fethiye et Antalya 3 semaine plus tôt n'est pas la seule option pour relier ces deux villes, et, moyennant quelques passages en commun, je peux éviter le simple aller-retour. À commencer par la sortie d'Antalya, que je ferai cette fois par les montagnes et non la côte. 
Et ça grimpe sec... Stupeflip dans les oreilles (le dernier album est pas mal, moins ouf que le précédent), je me lance dans les quelques 1700m de dénivelé positif qui me séparent de la redescente.

IMG_20230225_111016.jpg, févr. 2023

Dépassant un petit restaurant de bord de route aux alentours de midi, j'estime qu'il est un peu trop tôt au vu du gros petit-déjeuner que j'ai avalé ce matin et préfère poursuivre jusqu'au suivant... Bien mal m'en a prit ! J'arrive plus d'une heure et demie plus tard au petit village de Hisarçandır où on m'informe qu'il n'y a rien. Rien du tout. Pas même un petit market pour assembler un pique-nique de fortune. Altınyayla, la prochaine commune, est à 35km, 1000m de dénivelé. Aïe aïe aïe ...
Après avoir décrété "l'état d'urgence" et activé le "mode survie" j'engloutit un demi paquet de gâteaux et repars, près à me jeter sur la première köfte qui traversera la route (NB. Köfte = boulette de viande). 
2 km plus loin, un oriflamme orange flanqué des mots "GÖZLME KAVALTI" sera mon salut : je crie un bonjour à l'homme qui fend du bois pour le poêle dehors, et lui demande si il y a à manger. Pas trop sûr de sa réponse, j'ai quand-même compris que je suis invité à entrer, alors j'entre. On échange un peu autour d'un çay, puis je lui demande si je peux manger. "Aaah non, moi j'fais pas à manger mon grand, mais t'as l'air d'avoir sacrément faim alors on va te trouver une solution vas !" me répond-il (plus ou moins, en tout cas la suite m'a permis de comprendre). Quelques coups de fil plus tard, il revient me voir rayonnant : "j'ai un pote qui a des poissons, il vient les cuisiner ici !" Aaah ! Chouette ! Moi qui rafoooole de poisson, j'ai tellement la dalle que c'est quand-même une sacrée bonne nouvelle. Le copain (Erdem, je l'apprendrai plus tard) arrive avec 3 truites dans un sac, encore vivantes. Hip hop dans la poêle et on se met à table.

IMG_20230225_142323.jpg, févr. 2023
IMG_20230225_145743.jpg, févr. 2023

Erdem repart, en m'invitant à m'arrêter dans son restaurant plus loin sur la route. Encore deux petits çay avec mon premier sauveur puis je me remet en selle. İl est tard avec tout ça, 16h passée. 
Au détour d'une épingle et juste derrière une petite mosquée (les indications étaient bonnes) je tombe donc sur le restaurant d'Erdem. Je m'arrête boire un çay (ça fait bien une dizaine déjà là) et remarque la terrasse insolite sur laquelle il fait manger ses clients lorsque le restaurant est ouvert, en été. Un platane sert de plier central à une structure en bois peinte de plein de couleurs, et offrant plusieurs terrasses se superposant les unes au dessus des autres. Je file visiter le monument, puis redescend en demandant si je peux mettre ma tente tout là-haut cette nuit. "Bah oui pas de problème, mais ça caille ici la nuit hein !" (On est à une altitude de 1000m) J'explique que je suis équipé, et c'est convenu, je reste.

IMG-20230225-WA0002.jpeg, févr. 2023

La fin de l'après-midi passe, çay sur çay devant le resto. Puis la nuit tombant on allume le poêle à l'intérieur et je me mets à la cuisine (c'est moi le cuistot ce soir) : pâtes, sauces tomates oignons ! Ça m'avait manqué de cuisiner tiens ! 

IMG_20230225_194617.jpg, févr. 2023
IMG_20230225_182746.jpg, févr. 2023

Dimanche.
Je commence à être une vraie pendule : tous les matins je me décide à ouvrire les yeux pour de bon, regarde l'heure, et il est entre 7h55 et 8h10. Ce matin ne fait pas exception, je fais un petit message à Erdem comme convenu. 1h plus tard, alors que j'ai presque terminé de ranger ce que je pouvais de les affaires, le voilà en train de rallumer le poêle. İl me montre 4 œufs, et me fait comprendre que je les cuisine pendant qu'il prends soin de son feu. Juste répartition des taches, je me lance dans une petite omelette. Le kavaltı est servit, le çay coule une fois encore à flot.

IMG_20230226_093000.jpg, févr. 2023

Puis c'est l'heure pour moi de repartir. Poignée de main, merci pour tout ! "Si tu repasses par ici fais moi signe, j'y serais." J'acquiesce, non pas que j'ai vraiment prévu de revenir (qui sait ?), mais plutôt parceque je sens que, comme chez Hüseyin Zuhal et Fatma, l'espoir de se retrouver un jour est la moindre des choses que je puisse leur laisser. 
Je reprend mon ascension, point culminant à 1350m. Les nombreuses redescentes entraînent dans leurs suites autant de remontées, et je reste à mon altitude de croisière pendant un bon moment, sans pour autant rouler à plat... C'est une route que l'on qualifiera de "sacré morceau".

IMG_20230226_113307.jpg, févr. 2023

J'arrive à Alıntyaka, en haut de la descente en principe, vers 12h30. J'y trouve un petit restaurant, englouti une portion de köfte en remerciant les turques de systématiquement accompagner leurs plat viandars de salades variées, c'est la santé les crudités ! Puis je repars sans m'éterniser, la route m'attend ! 
La descente annoncée jusqu'à Kumluca est presque toujours en pente dans le bon sens, sauf quand elle monte, donnant lieux à quelques portions de route élévatrices auxquelles je dédie le restant de mes fessiers en feu.
Arrivée au bord de l'eau vers 14h30, je suis face à un dilemme :
- filer à droite, à l'ouest, en direction de Finike, et rejoindre cette petite plage repérée à l'aller pour y bivouaquer
- prendre à gauche et profiter de cette occasion en or pour venir bivouac sur la côte à l'est de Mavikent (avant-dernier jour avant l'arrivée à Antalya, magnifique).
Autant dire 15 km dans le bon sens, ou autant dans le mauvais... Ma décision finalement prise, je vais à Mavikent, une telle opportunité ne se représentera pas. 
J'arrive 3 petits quarts d'heure plus tard, et trouve là l'ensemble de la population locale, en "piknik" devant la voiture dès que le bas-côté le permet, le poêle à bois miniature tenant le çay au chaud. Impossible de dénicher un coin un peu tranquille... 
En fouillant en haut d'une piste, après avoir renoncé à dormir au bord de l'eau comme prévu (impossible de se garer j'vous dis), je trouve pourtant la perle rare : un replat herbeux encore au soleil (17h45) et suffisamment decollé de la pente pour le recevoir demain matin aussi. Aller hop ! À la douche !

IMG_20230226_164854.jpg, févr. 2023

 

Haut de page